Enseignement et spiritualité


Limites de l’enseignement en matière de spiritualité

L’expérience spirituelle est une expérience intime, étroitement liée à la personnalité de celui ou de celle qui s’y aventure. La relation de cette expérience, par la personne qui l’a vécue,  n’est pas exempte de subjectivité. Les auditeurs reçoivent le récit de cette expérience à travers le filtre de leurs propres perceptions. La superposition de ces filtres imprégnés de subjectivité, souligne l’ambiguïté de l’enseignement en matière de spiritualité.

Pommier

Jules Simon (1814 – 1896), enseignant, philosophe et homme politique était un élu breton des Côtes-du-Nord à l’Assemblée Constituante en 1848. Ministre de l’Instruction publique de 1870 à 1873, il eut cette formule : « – Apprendre des leçons, savoir par cœur une grammaire ou un abrégé, bien répéter, bien imiter, voilà une plaisante éducation où tout effort est un acte de foi devant l’infaillibilité du maître, et n’aboutit qu’à nous diminuer et nous rendre impuissant. ». La clairvoyance du Breton, dans un Gouvernement de la France de la seconde moitié du XIXème siècle, ne semble pas avoir fait beaucoup d’émules chez ses successeurs. Jules Simon fut ensuite Président du Conseil en 1876 tout en s’attribuant le portefeuille du ministère de l’Intérieur. Peu de temps après Jules Simon, Gustave Lebon (1841-1931), autodidacte et homme de science prolixe, écrivit en 1895 « Psychologie des foules ». Il y donne un avis sur l’éducation qui rejoint l’opinion de Jules Simon. « – Peut-être pourrait-on accepter tous les inconvénients de notre éducation classique, alors même qu’elle ne ferait que des déclassés et des mécontents, si l’acquisition superficielle de tant de connaissances, la récitation parfaite de tant de manuels élevaient le niveau de l’intelligence. Mais atteint-elle réellement ce résultat ? Non, hélas ! Le jugement, l’expérience, l’initiative, le caractère sont les conditions du succès dans la vie, et ce n’est pas dans les livres qu’on les apprend. » Les travaux de Gustave Lebon ont retenu l’attention de Sigmund Freud et intéressé de nombreux hommes politiques allant de Roosevelt à Churchill et Charles de Gaulle.

Textes sacrés, directeurs de conscience, gourous, prêches, catéchismes, canon des écritures, religions qui se déclinent en sectes diverses, intégrismes et fondamentalismes forment un vocabulaire aussi riche qu’expressif. Étranger à la nature intime et singulière de la quête spirituelle, ce vocabulaire exprime trop souvent une idée simple : la prise de contrôle des consciences individuelles du plus grand nombre par une petite « élite » spécialisée.

Chaque humain est un être singulier. La réponse au questionnement spirituel, liée à la personnalité profonde de l’individu, se trouve plus sûrement au cœur de celui qui s’interroge que dans le corpus idéologique d’une école de pensée particulière. Notre époque moderne nous montre des exemples de croyants et de militants, dont les consciences se dissolvent dans les dogmes religieux ou dans les doctrines politiques, abandonnant leur liberté et parfois toute dignité humaine. A partir d’une réflexion personnelle, nourrie par son éducation et sa culture, chacun se fait, dans l’intimité de sa conscience, une opinion qui le rapproche ou l’éloigne des religions. L’Église catholique l’a bien compris, en préconisant le baptême du nouveau-né et en s’efforçant d’inclure l’éducation religieuse dans l’éducation scolaire le plus tôt possible. Dans les pays à dominante islamique, l’enseignement religieux et la récitation du Coran prennent le pas sur toutes les autres matières nécessaires à l’éducation des enfants, laissant envisager de futurs déserts culturels.

La quête spirituelle, qu’elle soit de nature philosophique laïque ou religieuse, peut être le fil rouge de toute une vie. Cette démarche intellectuelle particulière est le moyen de tendre vers la sagesse et, parfois, de parvenir à la sérénité avant d’aborder les interrogations angoissantes de la fin de vie. L’enseignement par un directeur de conscience, un gourou ou un maître expert dans une voie initiatique particulière, peut apporter une aide momentanée à la personne engagée dans la réflexion spirituelle. Il arrive parfois que des êtres d’exception par leur charisme et l’universalité de leur pensée, apportent une aide réelle à leurs auditeurs pour les accompagner à un moment particulier de leur quête.

Le phénomène du rassemblement par affinité, par clan, est une constante de l’humanité qui répond à un besoin de sécurisation. Au sein du groupe constitué, autour d’une préoccupation ou d’une activité commune librement choisie, l’individu est rassuré par ses échanges avec des personnes qui partagent une même passion ou un même engagement, qu’il soit intellectuel, sportif, ludique, politique ou religieux. L’instruction participe alors à l’avancement de chacun dans un but de performance sur l’objet qui rassemble le groupe. Dans un cadre politique ou religieux, l’instruction est délivrée à un groupe imprégné de convictions fortes et animé par une vocation militante ou prosélyte. Nourri par une instruction et un argumentaire adaptés, le militant, comme le croyant missionnaire, diffuse un message destiné à organiser la société sur une base idéologique particulière. La méthode permet à une petite minorité influente placé au sommet d’une structure pyramidale de conserver la maîtrise de l’ensemble de l’organisation.

En matière de spiritualité, celui qui s’autorise à délivrer un enseignement devient responsable de l’effet produit sur ses adeptes et des conséquences que cela peut avoir sur leur psychisme. N’ayant pas trouvé par lui-même les réponses à son questionnement sur le sens de sa propre existence, l’adepte risque de tout remettre en question, à l’occasion d’un événement particulier de sa vie. Cette remise en question peut avoir des effets dramatiques pour des sujets fragilisés. L’enseignement, en matière de spiritualité, est trop souvent l’expression de l’ego d’un maître enfermé dans ses certitudes.

Dans un groupe de réflexion constitué, l’échange peut se faire en respectant certaines règles propres à préserver une indispensable sérénité entre tous les participants, mais chacun reste maître de son propre cheminement spirituel. Le partage d’informations et l’échange d’idées, se font alors sur un plan horizontal, plus égalitaire et respectueux des consciences individuelles. L’échange questionne et participe à la progression de chacun dans sa propre quête.

Le monde moderne met à la disposition de tous l’ensemble des connaissances de l’humanité. Il appartient à chacun de laisser libre cours à sa curiosité, pour aller à la recherche des éléments propres à nourrir sa réflexion. La collecte des éléments les plus diversifiés, permet de déterminer quelques axes privilégiés, en fonction d’une résonance particulière dans la conscience du cherchant. Au clair avec la finalité de sa quête, chacun peut rejoindre un groupe pour une sorte de compagnonnage intellectuel, ou pour une communion dans la foi quand il s’agit de spiritualité religieuse. Dans un cadre empreint de sérénité, peut alors se tenir un échange d’idées et d’informations ou une communion entre tous les participants. Il ne s’agit plus d’enseignement, mais d’un échange qui permet à chacun de nourrir sa réflexion et de progresser à son propre rythme.

Il n’est pas question d’opposer une spiritualité religieuse et une spiritualité laïque. Chacun est parfaitement légitime dans ses convictions. Les appareils religieux, tout comme les appareils politiques, ne sont cependant pas exempts de leurs responsabilités devant l’humanité et l’histoire.

Gwyon mab Wrac’h