Imbolc (Br. Emwalc’h, Goulou-Deiz)
Noz ar Wrac’h (nuit de la vieille femme)– Gouel Berc’hed ( fête de Brigitt)
Deiz ar goulou (jour de la lumière)
Panthéon celtique : Ana – Keridwenn – Brigitt – Mac Oc
Imbolc, l’un des quatre repères cardinaux du calendrier, ne figure pas dans l’énumération des grandes assemblées de la tradition d’Irlande : assemblée d’Uisnech à Belteine, foire de Tailtiu à Lugnasad et festin de Tara à Samain.
Les philologues indiquent qu’Imbolc est le nom de l’ablution purificatrice, auquel correspond le mot breton emwalc’h. L’ablution purificatrice par l’eau concernerait les pieds, les mains et la tête. La fête se situait aux calendes de février (trois jours avant et trois jours après la pleine lune selon certaines sources). La célébration était probablement dédiée à la Déesse Mère et à son fils le Mac Oc, le jeune soleil. C’est ce que semble signifier la fête chrétienne de Sainte Brigitte qui se superpose à Brigit, l’un des noms de l’unique déesse des Celtes. A la sortie de l’hiver, Imbolc est la fête de la transformation.
L’interprétation des trouvailles archéologiques indique qu’Imbolc serait la célébration du mariage de la Déesse mère avec Esus, le dieu de la terre et de la végétation qui, à ce moment, revient sous sa forme humaine. La fête était marquée par le sacrifice du cerf et donnait lieu à des mascarades. Hommes et femmes se déguisaient en taureaux et en génisses, ou en cerfs et en biches, dans une ambiance joyeuse et débridée, pour célébrer le renouveau de la nature et la nécessité de procréer.
Ces réjouissances se perpétuent aujourd’hui dans le Carnaval. Le point culminant de la période festive est le jour du Mardi Gras, le mardi le plus proche de la nouvelle lune qui se situe entre le début du mois de février et début mars. Le Mardi Gras annonce, dans la tradition chrétienne, le début de la période du Carême, les quarante jours qui précèdent Pâques. Masques et déguisements, dans une ambiance de liesse populaire, donnent un aspect concret au sentiment d’exaltation et d’exubérance qu’éprouvaient les anciens Celtes qui avaient survécu aux rigueurs de l’hiver. La fête préside à la joyeuse métamorphose de la nature et accompagne la venue du nouveau soleil. Le symbolisme particulier de cette fête fait également référence à la fécondité. Imbolc se situe dans l’atmosphère particulière de la tradition indo-européenne, pour cette période de l’année, qui donnait lieu à des pratiques cultuelles lustrales mais aussi orgiaques, comme l’ont montré les travaux de Georges Dumézil.
Dans la tradition de l’Inde, la déesse celte a son équivalent en Sarasvatî, l’épouse de Brahmâ, déesse de la connaissance, représentée par un livre des Véda ou le symbole mystique du svastika. Dans une période qui varie entre la fin du mois de février et le début du mois de mars, est célébrée Holi, la victoire de Shiva sur un dieu malfaisant, la victoire du bien sur le mal. Cette fête hindoue, qui dure trois jours, est la fête des couleurs, un moment de liesse populaire dans lequel on se réjouit des choses de la vie en se projetant mutuellement des poudres de couleurs vives. Cette coutume rappelle les jets de confettis à l’occasion du carnaval en Europe.
Dans la tradition hindoue, le cinquième jour de la lune claire du quatrième mois de l’année, qui se situe dans la seconde semaine du mois de février, est célébré Kâma, le dieu de l’amour et fils de Shiva. Les humains qui avaient survécu aux rigueurs de l’hiver fêtaient dans l’allégresse la vie et la perspective féconde des six mois à venir. La croyance populaire voulait que la tête de Shiva soit adorée dans le monde supérieur, que ses pieds soient adorés dans le monde inférieur et que la partie centrale de son corps soit adorée dans le monde des humains. Cela explique que Shiva est représenté dans le monde des humains sous la forme phallique du Linga. Le dieu de l’amour, fils de Shiva est célébré sous la même forme. A cette période de l’année, dans certaines contrées de l’Inde, un Linga fiché dans un Yoni, symbole du sexe féminin, est promené en ville, dans un palanquin, à l’occasion d’une procession.
La fête celtique d’Imbolc, probablement intimement liée à la déesse primordiale, marque la fin de la période la plus sombre de l’année et l’émergence de la jeune lumière. Elle marque la transformation de la déesse qui, de vieille femme la nuit, se métamorphose à l’aube pour devenir la jeune et vaillante Brigitt. La gardienne du feu et des sources sacrées, favorise la réflexion spirituelle. C’est à cette période que, dans la tradition d’Irlande, prennent place les ébats amoureux de la jeune déesse, symbole de fécondité. Brigitt est l’aspect céleste de la déesse Ana, mère, épouse et fille du Dagda. Profondément enracinée dans la conscience des Celtes d’Irlande, la déesse a été christianisée en Sainte Brigitte. Les Celtes associaient le symbole de fécondité, représenté par la très ancienne Grande Déesse Mère, à la célébration de la fête qui marquait la renaissance de la nature dans le cycle des saisons.
Sous le nom d’Ana, dans l’inconscient des Bretons, elle aurait été associée culte de Sainte Anne, la grand-mère du Christ dont de nombreux lieux de culte ont été construits dans des endroits marécageux, ce qui indique sa proximité avec l’Autre Monde des Celtes. L’Église chrétienne est restée très discrète sur cette fête, dans la transcription effectuée par les moines copistes. Par défaut, ce silence nous donne une bonne indication sur l’importance que lui accordaient les Celtes avant l’avènement du christianisme. La différence entre les mythes celtes se rapportant à la Grande déesse mère et à la naissance du monde, sur une spirale du temps qui n’a pas de commencement, et le dogme chrétien de la Création ne semble pas étrangère à cette discrétion. Les moines copistes qui transcrivirent les récits de la tradition orale des Celtes, n’ont pas relevé cet aspect lié à l’émergence du monde. Les textes ne retiennent qu’une signification lustrale par des ablutions destinées à évacuer les souillures de l’hiver et une explication pastorale par la lactation des brebis. Cette interprétation n’est cependant pas anodine. La lactation des brebis qui annonce l’agnelage jette un pont vers la tradition christique dont l’agneau est un symbole christologique fort, comme le sont le poisson et la colombe.
Imbolc, dans sa dénomination bretonne Goulou-deiz, désigne la lumière du nouveau soleil. La fête célèbre toujours une nouvelle naissance, un nouvel élan de vie avec la montée de sève dans une nature fertile et nourricière. C’est une fête joyeuse propice aux rencontres et à l’amour, ainsi que le montrent encore les festivités du Carnaval et de la Saint-Valentin.
Le calendrier breton a conservé une trace discrète de la Grande Déesse. Le 31 janvier est le jour de la Ste Morwenna, la mer blanche, la mer sacrée dont la libération a précédé la naissance du monde. Le 1er février est celui de Ste Berc’hed, Brigitte, l’un des noms de la Grande Déesse. La nuit du 31 janvier au 1er février était nommée Noz ar Wrac’h, la nuit de la vieille femme stérile de l’hiver qui, à l’aube, se transformait en jeune femme fertile pour présider à une nouvelle naissance de la nature. Le 2 février est célébrée Ar Goulou, la nouvelle lumière du jeune soleil.
Dans la tradition d’Irlande, cette fête est placée sous le signe du trèfle (les trois feuilles du trèfle sont un rappel de l’idéologie tripartie des Indo-européens et de la trinité dans sa traduction chrétienne).
Le chêne était l’arbre symbole consacré à la Grande Déesse, qui marquait l’équinoxe du printemps. Le chêne, dont le nom provient d’une racine indo-européenne Diwos, qui signifie « briller », est associé à la nouvelle lumière. Le chêne symbolise l’axe vertical reliant le monde souterrain des forces génératrices de vie, au monde céleste dispensateur de lumière. Le chêne, arbre sacré des druides, était aussi l’arbre consacré à Zeus chez les Grecs et à Jupiter chez les Romains. Le chêne était également honoré par les Germains et les anciens Baltes, tous héritiers d’une tradition indo-européenne commune. Le chêne représente l’Arbre cosmique, qui soutient et traverse les trois mondes, inférieur, médian et supérieur, autour duquel se développent les spirales du temps des dieux et du temps des humains. Il est comparable à Yggdrasil, l’arbre sacré des Scandinaves. Cet arbre était un frêne nourri par trois racines, dont chacune puisait dans l’un des trois mondes de l’idéologie indo européenne. L’impression de robustesse et de force qui en émane symbolise la stabilité du cosmos. L’arbre « Axe de Monde » semble bien perpétuer un mythe indo-européen.
Le saule, arbre des endroits humides, est associé à cette fête généralement célébrée près d’une source ou au bord de l’eau.
Le taureau, animal lunaire associé au printemps, symbolise les puissances génératrices de la vie physique. Dans les textes mythologiques irlandais, la consommation de la viande de taureau permettait d’établir un contact avec l’Autre Monde. Dans la tradition d’Irlande la vache, symbole d’abondance, est associée à Brigitt, comme la vache blanche à la Boand. En Inde, la vache fait toujours l’objet d’une attention particulière.
En Irlande, le sanglier, animal consacré à Lug dans son aspect de lumière spirituelle, souligne la vocation de la période sombre de l’année, propice à la réflexion intérieure. Le sanglier était parfois désigné par le mot ner, un ancien mot d’origine indo-européenne, que l’on retrouve sous la forme nar en sanskrit et en vieil iranien. En breton moderne, il exprime la notion de force et de vigueur dans le mot nerzh. L’association du sanglier à la lumière spirituelle, désigne l’animal comme le symbole des druides.
En Bretagne, Heven (Samain) au début de novembre et Emwalc’h (Imbolc) au début de février, marquent les limites de la période la plus sombre de l’année. Période d’inactivité pour les anciens, elle était la période la plus propice à la spiritualité, dans une intimité avec le souvenir des défunts.
Samain et Imbolc sont des périodes favorables à une réflexion sur la mort, l’autre face de la vie. Il n’est cependant pas exact d’envisager un culte des morts qui ferait partie de la culture des Bretons. Ces derniers ont le culte de la vie, dans lequel le souvenir des proches disparus trouve une place importante. La période qui va de Samain à Imbolc est la période du combat individuel contre les forces hostiles de l’hiver, contre le côté sombre de la personnalité. Cet aspect est souligné dans un passage du Tàin Bò Cùalnge, La rafle des vaches de Cooley : « Du lundi avant Samain au mercredi après Imbolc, Cuchulain a combattu sans dormir pendant les trois mois les plus sombres de l’année. Souffrant de nombreuses blessures et perclus de fatigue, il est secouru par Lug, le lumineux dieu solaire polytechnicien, qui l’endort pendant trois jours et le soigne par des plantes. Lug se présente à Cuchulain en disant : Je suis ton père des Sìd, Lug, fils d’Ethliu. » Dans ce récit, le combat de Cuchulain se passe sur le gué, entre les deux rives de l’année, dans l’eau froide de l’hiver.
Imbolc correspond à l’aurore laiteuse que se disputent le ciel diurne et le ciel nocturne, chez les héritiers des indo-européens, sur un vaste territoire qui va de l’Inde à l’extrême Ouest européen. C’est le retour vers la lumière, la vache blanche convoitée par le héros des textes traditionnels celtiques, dans sa conquête de l’année. Cette fête représente la résurgence de la vie, un nouveau cycle, l’espoir.
L’année, commencée par la nuit de Samain, laisse percer à Imbolc, l’aurore qui porte en germe la nouvelle saison « claire » et annonce pour Belteine une reprise des activités laborieuses et bénéfiques. C’est dans un lieu marécageux que l’aurore rouge a été emprisonnée à Samain, c’est également dans un lieu humide que l’aube laiteuse est délivrée à Imbolc. La cérémonie fait appel au symbolisme de lustration, de purification (ablutions des pieds, des mains et du visage). La lumière du feu, ainsi que l’eau des sources et des rivières sont les éléments druidiques principaux associés à la fête d’Imbolc. Sources et cours d’eau, issus de l’union du ciel et de la terre, sont célébrés pour leurs actions dispensatrices de vie et de richesses. Imbolc est une fête joyeuse, un nouveau réveil à la vie, une nouvelle naissance La surface de l’eau symbolise l’interface avec l’Autre Monde.
Dans la tradition brahmanique, le quatorzième jour de la moitié sombre de la lune du quatrième mois de l’année, correspond à la fin de notre mois de février. Ce jour-là, les Brahmanes se baignent pour se laver de leurs manquements au dharma, le code de conduite qui gouverne et règle chaque sphère d’existence de l’humain sur terre.
En 345, le pape Libère avait fixé la date de la naissance du Christ au 25 décembre, jour du solstice d’hiver dans le calendrier julien. Il avait choisi cette date de façon à intégrer les fêtes païennes qui se déroulaient autour du solstice d’hiver. Le solstice d’hiver, point le plus bas de la course du soleil pour l’hémisphère Nord, marquait dans la tradition celtique la fin du déclin du vieux roi et l’avènement de son successeur. La naissance de Jésus ne pouvait être mieux placée pour se substituer à la vieille tradition des Celtes et des peuples issus du tronc commun indo-européen.
Dans une logique identique au calendrier des fêtes celtiques, pour lequel la période de trois quinzaines est importante, c’est le 2 février qu’est célébrée la fête chrétienne de la Chandeleur et la présentation de Jésus au Temple. Dans la religion chrétienne, Jésus est la nouvelle lumière spirituelle. La crêpe de la Chandeleur, par sa forme et sa couleur, reste une allusion au soleil.
Le 2 février est également le jour de la « purification » de la Vierge Marie après la naissance de l’enfant divin. Selon la Loi juive, une mère qui accouchait d’un garçon était considérée impure pendant sept jours. Elle devait ensuite attendre trente-trois jours pour que son sang soit purifié. Dans la tradition chrétienne, la purification de la Vierge intervient ainsi quarante jours après la naissance de Jésus. La « purification » est surprenante, concernant Marie, la Vierge de l’immaculée conception qui donna naissance au fils de Dieu.
Le 2 février est fêtée sainte Brigide, la patronne de l’Irlande christianisée. Sainte Brigide était la mère abbesse, fondatrice de l’abbaye de Kildare.
Gwyon mab Wrac’h