Légion d’honneur
L’Ordre de la Légion d’honneur a connu des fortunes diverses depuis sa création. Le 1er janvier 2015, Thomas Piketty, économiste français renommé était cité, au grade de chevalier, dans la liste de la promotion de la Légion d’honneur. Le récipiendaire faisait alors savoir : Je refuse cette nomination car je ne pense pas que ce soit le rôle d’un gouvernement de décider qui est honorable. Il est vrai que, sur ce point particulier, les péripéties, au mieux grand-guignolesques et au pire délictueuses, des derniers quinquennats posent certaines questions en terme d’éthique républicaine, de probité et d’intégrité.
Merci Monsieur Piketty de nous rappeler, en refusant la Légion d’honneur, qu’il existe encore des personnalités dotées d’un sens supérieur de l’éthique dans notre pays. La décoration inventée par Napoléon Bonaparte pour distinguer les personnages, qui par leurs actions ont mérité l’hommage de la Nation, a perdu sa signification première depuis bien longtemps. Le nombre des titulaires d’un grade dans la Légion d’honneur, en délicatesse avec la justice, en particulier dans les hautes sphères de la politique nationale et du monde des affaires le souligne suffisamment.
L’exemple des laboratoires pharmaceutiques SERVIER, responsable de plusieurs milliers de morts, victimes du MÉDIATOR, est révélateur. Le maintien du produit sur les rayons des officines pharmaceutiques, pendant une trentaine d’années, n’a pu se faire que par l’emploi de méthodes corruptrices auprès des responsables de l’administration et d’un trafic d’influence mené par des hommes politiques de premier plan. Même classées sous la rubrique « lobbying », ces méthodes n’en sont pas moins contraires à l’éthique et à l’honneur, des notions qui semblent bien désuètes pour le monde des affaires comme pour celui de la politique. L’Ordre de la Légion d’honneur ne semble pas trop s’en émouvoir.
Le 7 juillet 2009, Monsieur Servier, fondateur et patron du laboratoire qui porte son nom, a été élevé au rang de Grand-Croix de l’Ordre de la Légion d’honneur, en plein scandale sanitaire du Médiator, par Nicolas Sarkozy, Président de la République et ancien avocat d’affaire du Groupe Servier. A cette occasion, l’éloge dithyrambique de l’industriel par Nicolas Sarkozy laisse pantois l’assuré social exposé aux risques sanitaires du Médiator: « Mon cher Jacques…La nation vous est reconnaissante. Vous êtes une publicité vivante pour le médicament. En tant qu’entrepreneur, vous avez souvent été sévère avec l’administration française. Vous critiquez l’empilement des mesures, des normes, des structures et vous avez raison ». Jacques Servier n’aura pas eu le temps de répondre des centaines de morts dues à son « médicament ». Le vieillard, digne représentant de l’éthique économique du grand patronna français, décédait en avril 2014 au moment où se terminait l’instruction de l’enquête sur le scandale sanitaire du Médiator. Cependant l’espoir de voir s’ouvrir rapidement un procès, avant le décès du plus grand nombre des victimes de la molécule mortelle, s’éloigne, comme à chaque fois qu’une affaire de trafic d’influence mêlant une grande entreprise, des hauts fonctionnaires, une agence gouvernementale et des personnages politique, éclate au grand jour. En raison du défaut de l’entreprise Servier dans le processus d’indemnisation des victimes, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) a accepté de prendre en charge une dizaine de dossiers sur les 1.500 recensés. Cette dépense publique s’ajoute aux énormes dépenses de santé supportées par la sécurité sociale pour le traitement des pathologies induites par le Médiator. Il serait intéressant de comparer les profits du groupe pharmaceutique induits par la commercialisation du Médiator aux dépenses publiques induites pour en soigner les victimes. Pour les dix années précédant la révélation du scandale, l’Union nationale des organismes d’assurance-maladie (UNOCAM), estimait à 324,89 millions le coût des prescriptions du Médiator pour la Sécurité sociale. A ce coût devrait s’ajouter celui des intervention chirurgicales pour les pathologies cardiaques induites. Le députe Gérard Balp chiffrait le coût total à 2 milliards d’euros. Une légion d’avocats s’occupe à plein temps pour multiplier les contestations, submergeant le tribunal de recours, de demande en annulation, jouant la montre dans un combat fangeux en attendant le décès des plaignants, en perpétuant la culture d’entreprise introduite par Monsieur Servier. Bien que l’enquête ait été achevée en 2014, le procès pourrait ne se tenir qu’en 2017. Le staff des avocats du Groupe Servier entend bien se servir de toutes les arguties pour retarder la tenue du procès au maximum, tout en communiquant sur sa compassion pour les victimes.
Henri Nallet, ancien ministre socialiste de l’agriculture et de la justice avait prodigué ses conseils et loué son entregent au groupe Servier, entre 1997 et 2013, pour des émoluments se montant à 2,7 millions d’euros. Le scandale sanitaire ne lui avait pas posé de problème de conscience pour ses activités de « conseil en lobbying » auprès des responsables de ce groupe pharmaceutique. Pour l’ensemble de son action, Henri Nallet a été élevé au grade de commandeur de la Légion d’honneur le 14 juillet 2014 et félicité par le Premier ministre Dominique Valls.
Gageons qu’à l’exemple de Monsieur Piketty, Irène Frachon qui révéla le scandale sanitaire du Médiator, refuserait également de figurer parmi les membres l’Ordre de la Légion d’honneur aux côtés de personnages de cet acabit.
De Claude Monet au couple formé par Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir, en passant par Georges Bernanos, de nombreuses personnalités ont également décliné le privilège de figurer à l’Ordre de la Légion d’honneur. Le cas de la chercheuse Annie Thébaud-mony, spécialiste des cancers professionnels reste emblématique. La dame, au caractère bien trempé, a refusé sa décoration pour dénoncer l’impunité de dirigeants de groupes industriels responsables de catastrophes sanitaires. Parmi ces intouchables certains affichaient déjà fièrement la décoration à leur boutonnière.
Sauf à cajoler l’ego des récipiendaires, l’attribution de cette décoration relève trop souvent d’un calcul politicien, d’un retour d’ascenseur pour la générosité de donateurs au profit d’un Parti politique ou d’arrangements entre notables de province, que de la reconnaissance de la Nation pour une participation au rayonnement de la France. Cela est éminemment dommage pour ceux qui méritent vraiment de porter leur décoration avec fierté et honneur. Certains d’entre-eux n’ont pas hésité à renvoyer leur médaille après des attributions révoltantes à de sulfureux personnages. N’en déplaise aux membres du Gouvernement socialiste qui ont fustigé le refus de Monsieur Piketty, cette petite turbulence fut reçue comme une bouffée d’air frais par le petit peuple des administrés.
Kan ar Peulvan juillet 2015
Voir: « LIBERTE – EGALITE – FRATERNITE » par Guy Le Nair chez TheBookEdition.com