La Question


 La Question

gwenhadu

Lecteur assidu du « Télégramme », je me suis un instant arrêté sur l’article « Torture en Algérie, l’UNC refuse la projection du film « La Question » » paru le 28 décembre 2001, en page 5 du quotidien, par une souriante journée des Saints Innocents.

Ainsi, les responsables finistériens de l’Union Nationale des Combattants se placent en face de Monsieur Henri Alleg pour l’accuser « d’attenter à la mémoire de nos morts et à l’honneur de notre armée» en ayant livré au citoyen moyen le fruit d’une expérience vécue au travers d’un film semble-t-il très réaliste. Sans doute eût-il été préférable pour ceux qui se sont adonnés à ces divertissements, que le vil rescapé des chambres de torture disparaisse corps et âme ainsi qu’un bon nombre d’hommes et de femmes portés disparus durant « les événements ».

Cet homme fait cependant preuve d’une belle opiniâtreté, après avoir subi une première salve d’intimidations et de menaces à l’occasion d’une première tentative de sortie du film en 1976, il récidive. Malgré le temps qui apaise les passions, la même cause produit encore les mêmes effets, tout au moins pour une coterie de pères la pudeur dont l’idée de l’honneur semble plus reposer sur la forme lustrée d’un vernis de surface que sur le fond de l’Histoire.

Concernant les 1.200 appelés Bretons qui laissèrent leur vie ( j’ignore le chiffre exact au niveau de la Nation), dans cette action de « pacification », il est totalement hors de propos, voire injurieux d’associer leur mémoire à « l’honneur » des tortionnaires. Cette méthode d’amalgame ne vaut pas plus pour l’ensemble des anciens combattants et des « Morts pour la France », quel que furent l’époque, le combat et le lieux. Qu’il existe dans notre pays, à l’état endémique, une virulente frange ayatollahs intégristes de la pensée jacobine pour laquelle l’Etat doive rester pur et sans tache, du moins en apparence, n’est pas nouveau. Le droit à l’information, désormais bien ancré dans notre démocratie, fait qu’à présent une majorité de citoyens sont plus ou moins au fait des « bavures » commandées par la Raison d’Etat.

Pas de repentance possible pour un Etat prisonnier d’une légende éclatante de blancheur. Blancheur virginale pour les uns, blancheur de linceul pour les autres. Il faut donc punir ceux qui pourraient ternir l’image immaculée, quitte à ce que les spadassins de la virginité Nationale se couvrent eux-mêmes d’opprobre par un activisme indigne.

Sur le sujet du jour, l’écrivain Henri Alleg n’est qu’une victime parmi d’autres. Ainsi, durant les « événements », le général Jacques Paris de la Bollardière issu d’une famille bretonne, qui se souvenait que les Algériens avaient aidé les Français durant la seconde guerre mondiale, fut enfermé pendant deux mois en forteresse pour avoir dénoncé la torture en Algérie. Cette histoire a également été fixée sur la pellicule et est toujours soumise à la censure des télévisions françaises.

Récemment le général Aussaresse a soulevé un coin du voile qui recouvre cet épisode douloureux, dans un livre bien documenté qui faillit terminer sa carrière au pilon. Si son attitude, par rapport à la pratique de la torture durant les événements, était aux antipodes de celle du général de la Bollardière, il a eu le courage de reconnaître les faits. Il aura été jugé pour « apologie de la torture », privé de sa Légion d’Honneur et aura été l’objet de brimades multiples. A mon sens, en terme de sanction, l’opinion des lecteurs aurait bien suffi.

Toutes les victimes de cette guerre sans nom méritent la vérité, pour la mémoire des morts et pour qu’enfin les rescapés qui en sont revenus traumatisés, puissent faire le deuil de cette période.
L’armée, la nôtre comme toutes les autres, est une arme. Chaque soldat a son honneur et la possibilité d’un choix, ainsi que le démontrent les deux généraux que nous venons d’évoquer. Le choix n’est pas possible pour l’armée et son honneur est celui du Pouvoir Politique qui lui ordonne ses actions. Mais il est tout aussi vrai, qu’à ce niveau et pour ce qui concerne l’honneur, il y aurait comme une sorte de flou artistique, et pour paraphraser le Bouddha, un rêve, un fantasme, etc…

Kan ar Peulvan, barde armoricain

Décembre 2001