Le druide du XXIème siècle


Pommier

Le druide du XXIème siècle

De l’ensemble des travaux sur la société des Celtes, de toutes les incertitudes, approximations et déductions sur lesquelles se fondent les diverses hypothèses concernant le druide gaulois, deux points semblent faire consensus chez les chercheurs modernes :

  • a) au druide est associé la notion de sagesse ;
  • b) le druide, décrit dans les témoignages d’observateurs de l’Antiquité n’était pas le prêtre de la religion des Celtes, mais il était pleinement engagé au sein de la société dans laquelle il symbolisait le bon ordre, par la sagesse qui lui était reconnue. Son rôle principal consistait à arbitrer les conflits, à rendre la justice et à enseigner.

Les Grecs de l’Antiquité ont qualifié la sagesse de vertu. Ils la différenciaient de la connaissance. Socrate contestait le fait que la sagesse puisse faire l’objet d’une acquisition automatique et traditionnelle par l’école. Pour lui, cette vertu ne pouvait être le fruit d’un enseignement qui serait dispensé à tous par des recettes ou par les méthodes de la science. Dans sa conception antique, la vertu est l’une des conditions du bonheur dans un contexte qui implique la recherche du vrai bien.

La devise des sages de Perse était « Bonne pensée, bonne parole, bonne action ». Par opposition, mauvaise pensée, mauvaise parole et mauvaise action, était l’expression du mal. La triade celtique Pensée, parole, action, véritable colonne vertébrale de la civilisation celtique, et la qualité de sages attribuée aux druides gaulois par les philosophes grecs, corroborent le rapprochement qui a été fait entre les philosophes de l’Antiquité, les sages de Perse et les druides de Gaule. Plus que la somme des connaissances acquises par l’étude, dans les divers domaines scientifiques, c’est la sagesse et une conduite juste qui faisaient du druide un pilier important dans l’organisation de la société des Celtes. Son influence y est restée forte tant que les rois et les chefs de clans acceptaient de faire une large place à ses avis éclairés.

L’ouvrage de l’universitaire Jean-Paul Demoule « Mais où sont passés les Indo-européens ? » questionne sur les interprétations et l’utilisation du concept indo-européen qui ont été faites depuis le XVIIIème siècle jusqu’à nos jours. L’auteur laisse entendre que l’un des buts des études menées sur la question par quelques chercheurs idéologues, pendant près de trois siècles, auraient été de constituer une alternative à la Bible des Juifs, dans la construction de l’identité et de la pensée occidentale. Pour Jean-Paul Demoule, «  la construction du mythe indo-européen est à la fois celle d’un mythe d’origine et celle d’un mythe identitaire. ». Le chercheur précise son propos en ces termes : « Les humains ne peuvent vivre sans appartenances sociales ni affiliations. Mais à l’heure où les questions des origines et des identités se posent avec une singulière acuité, le devoir et la responsabilité des scientifiques sont de mettre en garde contre les fausses origines et les fausses identités. »

Hier, le mythe d’une race aryenne supérieure a servi de socle à l’idéologie nazie qui a mis le feu à l’Europe.

Aujourd’hui, il serait sain de s’interroger sur les motivations des promoteurs d’une définition des racines identitaires de l’Europe, qui seraient seulement religieuses et exclusivement chrétiennes. En France la majorité des participants au mouvement de pensée porté par « La manif pour tous » soutenue par les autorités religieuses catholiques, auxquels se joignent des éléments néo nazis de l’extrême droite, serait favorable à cette définition. Cependant, le message porté par ces manifestants particuliers a surtout réussi à banaliser un sentiment de haine à l’encontre de ceux qui, au sein de la population, étaient en défaut par rapport aux dogmes chrétiens.

La question de savoir si la religion est compatible avec la notion de sagesse est fondamentale pour la définition du druide contemporain. La réponse semble évidente pour ce qui concerne les vocations idéologiques, hégémoniques et totalitaires des religions qui imposent leurs dogmes et leurs règles de vie à l’ensemble de la société. Des personnages au charisme exceptionnel ont existé dans toutes les religions, mais la sagesse dont ils faisaient preuve n’a pas influencé les appareils religieux.  Au XXIème siècle, le fanatisme religieux a succédé au communisme stalinien et au nazisme, les deux grands totalitarismes du XXème siècle. Pour une partie des croyants intégristes, il n’existe en ce monde rien de pire que l’athée. L’athée, avec son indifférence ou son irrespect pour la religion, représente le mal absolu à combattre et à éradiquer. Ce n’est cependant pas l’athée qui « fabrique » le fanatique religieux, c’est bien la religion qui en porte le germe.

Aujourd’hui, quelques néo druides privilégient cependant la notion de religion en tentant de rassembler quelques bribes de l’ancienne religion des Celtes. D’autres, dans la logique d’une filiation chrétienne et apostolique transmise par le canal de l’Eglise celtique, associent leurs pratiques druidiques à la croyance religieuse monothéiste.

Les philosophes de l’Antiquité, qui n’étaient pas fondamentalement athées, étaient souvent critiques par rapport aux dieux, ce qui valut à certains d’entre eux des ennuis de la part des responsables religieux. Le monothéisme a durcit le ton, en assimilant la liberté de conscience à un crime dans les périodes les plus noires de son histoire. Aujourd’hui, quelques druides adeptes d’une spiritualité libérée des dieux, privilégient une filiation spirituelle symbolique plutôt qu’une filiation biologique transmise par une chaîne humaine ininterrompue, pour tenter de faire vivre une pensée celtique qui porte les valeurs humaines exposées dans la littérature orale des Celtes transcrites au Moyen âge.

La synthèse de ces observations conduit à faire une distinction entre le druide moderne qui, par une conduite juste, s’efforce vers la sagesse dans la filiation symbolique d’un mouvement de pensée philosophique qui a commencé avec les druides gaulois de la protohistoire, et le néo-druide qui se situe dans la filiation des bardes gallois christianisés ou dans une filiation biologique apostolique transmise par le christianisme celtique.

Le néo-druidisme, apparu en Grande-Bretagne au XVIIIème siècle, s’appuie sur une vision romantique des Celtes de la protohistoire et sur la transcription de la littérature orale des Celtes des îles d’Irlande et de Grande Bretagne, transcrite par les moines chrétiens dans la seconde moitié du premier millénaire. La référence à une tradition celtique christianisée rend improbable un lien entre le druide antique des Celtes continentaux et le néo-druide d’Outre-Manche, dont le mouvement s’est structuré vers la fin du second millénaire, jusqu’à sa reconnaissance comme religion à part entière, par les autorités de Grande-Bretagne.

Gorsedd digor. Assemblée des Druides, Bardes et Ovates de Bretagne sur le Méné Bré en 1909

Gorsedd Digor
Assemblée des Druides, Bardes et Ovates de Bretagne sur le Méné Bré en 1909

La religion des anciens Celtes, dont il ne reste que quelques traces archéologiques qui ne permettent pas d’en reconstituer le puzzle, ne peut également constituer un lien entre le druide de l’Antiquité et le druide moderne. Les symboles celtiques peuvent cependant constituer un support solide pour une spiritualité moderne inspirée par une passion romantique pour la civilisation des Celtes, ce qui n’implique pas de croyance religieuse particulière.

Le druide gaulois, tel qu’il apparaît dans les témoignages des penseurs grecs de l’Antiquité, est un sage qui met ses connaissances au service de la société. Les notions de sagesse et de service qui lui sont reconnues dans l’Antiquité, peuvent être constitutives d’une spiritualité qui porte une vision particulière du monde. Aujourd’hui, ce lien immatériel constitue la pièce maîtresse susceptible de relier le druide de l’Antiquité au druide du XXIème siècle, dans le contexte propre de leurs époques respectives.

Cela étant, le titre de druide n’est pas une marque déposée et ne fait aujourd’hui l’objet d’aucun enseignement particulier qui délivrerait un diplôme de bonne pratique. Tout individu peut s’attribuer le titre de druide et y mettre le contenu qu’il souhaite pour se constituer une petite société d’adeptes. Si le druide est un homme libre, la question du sens reste fondamentale pour la compréhension de son engagement dans la société contemporaine. Le celtisant qui cultive une passion romantique pour les anciens Celtes, participe également du mouvement néo druidique a vocation culturelle en rejoignant des groupes qui se rassemblent à l’occasion des fêtes du calendrier celtique. Leur engagement dans la société met l’accent sur la promotion de la culture celtique dont la langue représente l’un des pans importants et sur la défense des intérêts des territoires où s’exprime cette culture.

Débarrassée des fantasmes romantiques et des pouvoirs magiques du sorcier, l’image du druide moderne se révèle en phase avec les préoccupations spirituelles du troisième millénaire. Le druide moderne qui se situe dans la ligne des anciens philosophes de la nature, se distingue par son degré d’avancement sur la voie de la sagesse et par une éthique de vie centrée sur la triade «  pensée, parole, action » ancrée dans une culture de justice et d’honneur. Sur cette base, le druide se positionne dans la modernité de son époque, en dehors de tout contexte religieux réducteur.

Gwyon mab Wrac’h

 Dernière mise à jour le lundi 22 février 2016