Le glaive brisé
L’âme d’un peuple chante dans sa poésie. Dans La poésie des races celtiques, un essai publié en 1854 dans « La revue des Deux Mondes », Ernest Renan l’atteste pour les Bretons en ces termes :
Ce petit peuple, resserré maintenant aux confins du monde, au milieu des rochers et des montagnes où ses ennemis n’ont pu le forcer, est en possession d’une littérature qui a exercé au Moyen-Age une immense influence, changé le tour de l’imagination européenne et imposé ses motifs poétiques à presque toute la chrétienté.
Annexée et réduite au rang de province par la monarchie française, dépossédée de sa fierté nationale et privée de sa langue par la Révolution, administrée de manière coloniale par un État jacobin, soumise aux quolibets parisiens et cataloguée par des clichés dévalorisants après la Seconde Guerre mondiale, la Bretagne n’a jamais perdu son âme.
La poésie bretonne du XIXème siècle souligne un nationalisme latent et un mysticisme profond et particulier. De nombreuse société savantes et des clubs d’intellectuels bretons voient le jour tant en Bretagne qu’à Paris où se retrouvent les Bretons qui travaillent dans la capitale. Ils furent très nombreux, philosophes, sociologues, érudits, scientifiques, écrivains, critiques, journalistes, archéologues, historiens et hagiographes spécialisés dans l’étude du passé de la péninsule armoricaine, pour rappeler le renom intellectuel de la Bretagne et participer au réveil de la nationalité bretonne.
« Les souvenirs de nationalité sont indestructibles ; ils peuvent être obscurcis, altérés, submergés parfois au milieu de la tourmente, mais ils ne périssent pas ; ils finissent toujours par surmonter l’abîme ; toujours ils reparaissent à la surface. C’est là comme un symbole de l’immortalité qui leur est réservée. » Ces lignes ont été extraites des manuscrits posthumes de l’historien Le Huërou par François-Marie Luzel.
Confrontés aux mêmes problèmes en France et en Angleterre, Bretons, Irlandais, Gallois, Écossais et Corniques se retrouvent dans un projet culturel panceltique. La première rencontre interceltique eut lieu les 10, 11, et 12 octobre 1838 à l’occasion de l’Eisteddfod d’Abergavenny au Pays de Galles. A cette occasion Théodore Hersart de la Villemarqué fut intronisé barde sous le nom de « Barz Nizon » par l’Archi-Druide du Gorsedd « Cawrdaf ». Le Vicomte de Jacquelot du Boisrouvray, qui faisait partie de la délégation bretonne, lut un texte écrit pour l’occasion par Lamartine qui ne pouvait être présent. Le poème faisait référence à un glaive séparé en deux parties :
Quand ils se rencontraient sur la vague ou sur la grève,
En souvenir vivant d’un antique départ,
Nos pères se montraient les deux moitiés d’un glaive
Dont chacun d’eux gardait la symbolique part :
-« Frères, se disaient-ils, reconnais-tu la lame ?
Est-ce bien-là l’éclair, l’eau, la trempe et le fil ?
Et l’acier qu’à fondu le même jet de flamme
Fibre à fibre se joint-il ? »
Et nous, nous vous disons :-« O fils des mêmes plages,
Nous sommes un tronçon de ce glaive vainqueur !
Regardez-nous aux yeux, aux cheveux, aux visages :
Nous reconnaissez-vous à la trempe du cœur ?…
N’est-ce pas cet œil bleu comme la mer profonde
Qui brise entre nos caps sur les écueils pareils,
Où notre ciel brumeux réfléchit dans son onde
Plus de foudres que de soleil ?
…
Trente années plus tard, du 15 au 20 octobre 1867, un congrès celtique qui se déroule sous les auspices de l’Association Bretonne, rassemble les Gallois et les Bretons à Saint Brieuc. Il faut encore attendre trente années pour voir en juillet 1899, Bretons et Gallois se rencontrer à l’occasion de l’Eisteddfod de Cardiff. L’importante délégation bretonne était conduite par Jean Le Fustec, le trésorier de l’Union Régionaliste Bretonne (URB). Plusieurs membres de la délégation bretonne reçurent alors l’ordination bardique des mains de l’Archi-Druide « Hwfa-Môn ». Décidé à créer un Gorsedd de Bretagne, Jean Le Fustec (barde Ian ab Gwillerm) se procure les règlements qui régissent le Gorsedd du Pays de Galles. Le Gorsedd de Bretagne est créé après le congrès de l’URB qui se tient à Guingamp en septembre 1900.
Depuis, un glaive spécialement forgé en deux parties est rassemblé à chaque fois que Bretons et Gallois se rencontrent à l’occasion des Gorseddau, de part et d’autre de la Manche. Bretons et Gallois conservent une moitié du glaive entre deux rencontres.
Kan ar Peulvan 6 août 2015
Lien: www.gorsedd.fr