Roparz Hémon


Roparz Hémon

gwenhadu

Réflexions sur un article du Canard Enchaîné intitulé : « Quand la République subventionne un dictionnaire breton et anti-français « .

Le mercredi 19 avril 2000 restera longtemps gravé dans la mémoire collective bretonne. La première victime d’une innommable manipulation est tombée. Toute la Bretagne est concernée par le deuil qui frappe la famille de l’employée sacrifiée sur l’autel de la bêtise. Les assassins ont frappé à l’aveugle, à la manière des intégristes illuminés ou des activistes mafieux. Il n’a pas manqué de voix pour faire, une fois de plus, l’amalgame entre les irréductibles défenseurs de la cause bretonne et quelques individus peu recommandables.

Le mouvement breton, sous toutes ses formes, a toujours revendiqué la responsabilité de ses actes. Les bretons engagés dans l’action clandestine comme ultime moyen d’expression de leur engagement, sont hors la loi, mais non dépourvus de courage ni d’honneur. Pour ce qui concerne les manipulations douteuses des Services de Sécurité de l’Etat, il n’en est pas de même. Il suffit de se remémorer le Rainbow Warrior aux antipodes et le plasticage de la villa d’un grand constructeur à Dinard dans lequel un membre des Services Français avait instrumentalisé un jeune breton exalté.

Il n’est pas un journal qui n’associe les aspirations identitaires bretonnes à la période peu reluisante de la collaboration durant la dernière guerre. Aucun de ces journaux ne mentionne qu’à la même époque, les instituteurs de l’Ecole de la République distribuaient le portrait du Maréchal Pétain aux petits écoliers. La magistrature était aux ordres de l’occupant et en a gardé une attitude de servilité par rapport au Pouvoir. La Préfectorale et la Police restés en place se sont chargés de faire la sale besogne en bon supplétifs de l’occupant nazi. La presse nationale n’en fait jamais état. L’Etat Nation veille au grain, et ses moyens de persuasion sont suffisamment convaincants.

L’ardeur combattante des nombreux bretons résistants, engagés dans la clandestinité au sein des Forces Françaises de l’Intérieur et des Francs-Tireurs et Partisans Français est tombée dans l’oubli. Le mouvement breton ne serait héritier que de quelques collaborateurs aujourd’hui pour la plupart décédés.

Ainsi, au fil des ans, chaque fois qu’une prise de conscience bretonne marque un progrès sensible dans une population qui redresse la tête, une campagne de presse souligne en rouge le passé trouble d’une poignée de bretonnants compromis avec l’ennemi nazi et l’administration de Vichy. Aucun média ne précise que ces individus ont tous été interpellés au lendemain de la libération, ont été rapidement jugés et ont purgé leurs peines, ce qui n’a pas été le cas partout en France. Quelques-un ont eu par la suite une brillante carrière dans les sphères de l’Etat Français, et certains ont discrètement conservé l’amitié de hauts dignitaires de l’Etat.

A la Libération, le Gouvernement provisoire a profité de l’épuration pour monter des procès bidons contre les membres du mouvement breton en utilisant les services d’une Administration compromise dans la collaboration avec l’ennemi. Aucun média ne signale que le phénomène collaborationniste a été en Bretagne, moins important que dans bien d’autres régions de la France occupée, à commencer par la capitale Paris. Il a fallu toute la pugnacité de quelques citoyens, et près de cinquante ans, pour mettre un ou deux hauts fonctionnaires de l’Etat français devant leurs responsabilités. Ces exemples ont valeur de symboles pour rappeler que dans l’Administration française en particulier et en France en général, il n’y a pas eu que des résistants, loin s’en faut. Faut-il pour cela rappeler le passé collaborationniste de ces personnages à chaque fois que la France éprouve le besoin de faire entendre sa voix dans le concert des Nations.

Le Canard Enchaîné a stigmatisé le fait que le dictionnaire : « Geriadur brezhoneg » ait été « proposé à la mémoire de Roparz Hémon ». Roparz Hémon eut assurément le tort, avec une multitude de Français, de choisir le parti du maréchal Pétain. Son crime consista à animer une émission en langue bretonne sur les ondes de Radio Rennes pour le compte de la Progandastaffel dont il fut alors un salarié. L’émission était diffusée dans une région où l’on ne parlait que le gallo et le français. Dans le contexte de l’époque, on peut lui reprocher en outre, quelques phrases ambiguës. L’homme a été condamné, mais son œuvre de lexicographe existe. Si le dictionnaire dont il est question mentionne son nom, c’est que Roparz Hemon fut historiquement le premier lexicographe monolingue breton. Faudrait-il garder l’œuvre en ignorant le nom de l’homme ou brûler l’œuvre avec l’auteur? S’il fallait appliquer ces règles aux auteurs français, qu’en serait-il de l’œuvre de l’incontournable Céline et d’autres brillants littérateurs Français à la personnalité contestable ?

En quoi l’utilisation des compétences lexicographiques de ce Breton frappé de 10 années d’indignité nationale, et amnistié en 1951, seraient-elles plus condamnables que l’utilisation des compétences du préfet Papon par le Général de Gaulle ? Un collaborateur français serait-il plus fréquentable qu’un collaborateur breton ? Les exemples de bonne intelligence, voire d’amitié n’ont pas manqué dans ce dernier quart de siècle entre des personnages au passé trouble et des élus de la Nation, jusqu’au niveau le plus élevé de l’Etat français.

En quoi le mouvement breton moderne serait-il plus concerné par les choix des Roparz Hemon et Alan Heusaff, que le rayonnement français contemporain par des Barbie et Papon ?

Des expressions telles : « L’antisémite au biniou », ou encore « Celtitude à la mode SS », parues sous la signature de Jérôme Canard, qui associent un élément de la culture des Bretons à des notions de crimes contre l’humanité font plus penser à de la manipulation d’opinion qu’à une information objective. Le devoir de mémoire est important et les Bretons y sont attachés, mais la mémoire sélective de certains médias les incite plus à serrer les poings qu’à sourire à un mauvais jeu de mots. Au-delà de l’attitude digne des Bretons durant la dernière guerre, il n’est pas inutile de rappeler que le pourcentage de la population « Morts pour la Patrie » entre 1914 et 1918 est plus important en Bretagne que partout ailleurs en France. Il est vrai qu’à cette époque, la Bretagne était considérée comme le dernier réduit de sauvages au sein de la République, et ses hommes, « si étonnants de bravoure » utilisés avec prodigalité comme chair à canon.

Il faut en Corse, attendre la bavure de gendarmes incendiant une paillote pour faire avancer le dossier de l’assassinat d’un Préfet. La justice semble faire preuve de plus de célérité dans la campagne bretonne. Il est vrai qu’en Armorique, les « Réseaux Pasqua » et l’activisme mafieux sous couvert de nationalisme ne font pas partie du folklore. La Bretagne mène tranquillement son petit bonhomme de chemin sur la voie de l’identité retrouvée, et ses habitants sont fiers de leur Région et de leur culture. Le mouvement breton s’affirme dans la non-violence, en dépit des actions imbéciles de quelques irréfléchis, des manipulations occultes des Services de Sécurité et des saillies de quelques éditorialistes en mal de jacobinisme. En Bretagne armoricaine les pièces d’identité sont françaises, mais l’identité est bretonne. Il en est de même en Corse, au Pays Basque, en Languedoc, en Savoie et dans toutes les Régions de France conscientes de leurs racines. Ni le temps ni les hommes n’y ont rien fait depuis des siècles, et il n’y a aucune raison pour que cela change.

Kan ar peulvan, le 10 mai 2000