SAMAIN


Samain  ( Br. Heven )

(Br.) Noz Kala-goañv,  nuit du début de l’hiver – Samonios

Panthéon celtique : Le Dagda – Bélénos – Lug – Morrigan

Pommier

Dans le panthéon des Celtes d’Irlande, le Mac Oc, Lug et Bélénos sont des noms différents pour désigner le soleil sous ses divers aspects. Lug le représente dans son aspect lumineux et Bélénos en représente la chaleur fécondante. Le Mac Oc est le jeune soleil renaissant à la fin de la période la plus sombre et la plus froide de l’année.

Samain marque la fin de l’été. L’étymologie indique que le préfixe sam signifie été. La période de Samain, autour du 1er novembre, marquait le « passage » de l’année, moment d’un grand bouleversement cosmique, la mort de la vieille année, le renouvellement des royaumes et des lignées avec le retour des esprits du clan. En Bretagne, Kala-goañv désigne les calendes de l’hiver, qui correspondent aux premiers jours de l’ancienne année celtique.

Le jour des Celtes commençait par la nuit et l’année celtique commençait par les mois les plus sombres, (Br.) ar miziou du, les mois noirs. Samain marque le commencement de la traversée de la ténèbre hivernale vers son épisode le plus sombre, jusqu’au solstice d’hiver, pendant les mois de novembre (Mizdu – mois noir) et décembre (Miz Kerzu – mois très noir).

Les Samonies, période qui commençait au début du mois de novembre et se prolongeait jusqu’au solstice d’hiver, marquaient la rénovation du temps et le renouvellement de la royauté dans l’eschatologie celtique. Au solstice d’hiver, la régénération du temps est symbolisée par la coupe du gui, image de la castration du vieux roi de l’année écoulée, par son jeune successeur. C’est durant la période de Samain, point culminant des batailles mythologiques, que meurent les dieux et héros, symboles de la tradition des Celtes d’Irlande. Lug a tué le dieu Balor, son grand-père, à Samain. C’est également à Samain que Cuchulain meurt, victime d’une traîtrise.

En Gaule, le commencement de l’année celtique, initiée par « les trois nuits de Samonios », donnait lieu à festins et libations. L’expression trois jours et trois nuits est une formule de la tradition d’Irlande qui marque la suspension du temps et désigne l’éternité. D’une manière générale, la notion de triplicité est indissociable des fondements du monde celte. Ce temps de Samain n’appartenait ni à l’année qui se terminait, ni à celle qui commençait. Cette distorsion du temps celtique est gravée dans le calendrier de Coligny: Trinox Samo Sindiv (les trois nuits de Samonios aujourd’hui). Pendant cette période, une porte de communication entre le monde des vivants et le monde des dieux et des héros morts était symboliquement ouverte. L’ouverture des portes entre le monde des dieux et celui des humains suspendait le temps. Dans les textes épiques de la tradition d’Irlande, c’est dans ce temps suspendu que se passent tous les grands événements mythologiques dont certains étaient liés au renouvellement de la royauté. Alors commençait la traversée de la ténèbre hivernale assimilée à une étendue d’eau. Cette célébration marquait l’accouplement rituel du Dagda et de Morrigan, mais aussi celui du nouveau roi avec la déesse de la souveraineté sous les traits de la vieille femme, accouplement nécessaire pour assurer la prospérité de l’année à venir.

En Europe la fête remonterait à l’âge du Fer. La Déesse mère se marie avec le dieu des enfers, des morts et des richesses, Cernunnos, représenté moitié homme, moitié cerf. La Déesse Mère, sous les traits d’une vieille femme, en Bretagne la gwrac’h ou Wrac’h, est à nouveau fêtée aux prémices du printemps, dans la nuit d’Imbolc (Noz ar Wrac’h, dans l’ancien calendrier breton), avant de prendre l’apparence de la jeune Brigitt à l’aurore.

{Dans le calendrier lunaire de l’année sacrée des Brahmanes, c’est au début du mois d’octobre que les Hindous fêtent la déesse Durga, la déesse mère source de vie et de toute chose. En Inde, comme pour les Celtes, l’année des humains comporte deux saisons de six mois chacune et commence par la période sombre. Kârttika Sudi est le jour du nouvel an dans la tradition védique. Ce jour se situe dans une période comprenant la dernière semaine d’octobre et la première semaine de novembre. La date de la célébration est déterminée en fonction de la lune. A cette occasion, « Annakûta » (un  Mont de nourriture) est offert à Vishnu.} Cette pratique brahmanique rappelle l’abondance de nourriture symbolisée par le chaudron du Dagda en Irlande.

La religion des Celtes n’était pas centrée sur le culte des morts. Seule la gloire acquise dans le parcours de vie héroïque conférait l’immortalité. Dans la mémoire collective entretenue par les bardes, les héros accédaient à la renommée et aux îles merveilleuses. Dans le cycle arthurien, la « dormition » du roi Arthur sur l’île d’Avalon se situe dans la même tradition.

Les fêtes celtiques sont des moments de partage, mais la célébration de Samain, plus que toutes les autres fêtes, associait le monde des vivants au souvenir des défunts. C’est la période de l’année la plus propice à l’exploration de soi-même, à la spiritualité.

En Bretagne, les aïeux défunts regroupés dans la communauté des âmes/souffle (anaon), se rappellent aux vivants qui les accueillent pour un moment privilégié d’échange dans l’intimité de leurs souvenirs.

Le festin faisait partie du rituel de Samain. Le plat principal pour les agapes était le porc, mets privilégié pour le partage avec ceux de l’Autre Monde. Le porc, symbole de connaissance et de force guerrière était également un symbole sacerdotal. La consommation de viande de porc et de vin était réputée donner accès à l’éternité, tout au moins pour l’impression donnée par le fugace moment d’une ivresse sacrée.

Pommes, choux, andouille, lait caillé, bière et hydromel étaient également privilégiés. Symboliquement, durant la période de Samain, entre le début de novembre et le solstice d’hiver, le chaudron du Dagda, chaudron d’abondance et de résurrection, fournit une nourriture inépuisable

La fête est placée sous le signe du pommier, l’arbre de la connaissance. Dans la tradition celtique, les pommiers de l’île d’Avalon, symbole de l’Autre Monde, donnaient des pommes éternelles qui avaient un goût de miel. En gaulois, le pommier se disait abellis qui signifiait également abeille. (L’image de l’arbre de la connaissance associé au rôle pollinisateur de l’abeille représente assez bien l’enseignement du druide philosophe dans la société gauloise.) A Plougastel-Daoulas (Finistère), se perpétue une très ancienne coutume bretonne autour d’un arbuste dont on a coupé et appointé les branches pour y planter des pommes. L’« Arbre aux pommes » symbolisait la communion entre le monde des vivants et l’anaon, la communauté des âmes dans laquelle continue de vivre l’esprit des défunts. Pratiqué l’après-midi du jour de la Toussaint, ce rite du souvenir comportait également le partage d’un pain spécialement pétri pour l’occasion, bara an anaon, « le pain des âmes ».

La pomme est, dans la tradition celtique, le fruit d’immortalité, de sagesse, de science, de magie et de révélation. Le pommier est l’arbre de Bélénos, symbole de l’Autre Monde hyperboréen.

Le texte traditionnel irlandais « La Navigation de Bran » fait allusion à un rameau d’argent, une branche de pommier recouverte de lichen.

« Voici une branche du pommier d’Emain

   Que je t’apporte, pareille aux autres

   Des rameaux d’argent sont sur elle

  Des sourcils de cristal avec des fleurs » 

Le noisetier, le gui et le sureau sont également en rapport avec la fête de Samain. Le sureau est l’arbre sacré de la déesse sous son apparence de vieille femme. Le noisetier, autre symbole de l’Autre Monde, est l’arbre de Lug-Abelio.

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Le cerf, roi de l’automne et animal psychopompe, symbolise le lien spirituel avec l’Autre Monde. Il est le conducteur des âmes des ancêtres disparus et du retour aux sources. L’animal est associé à l’ouest (Br. Kornog), la direction du coucher du soleil. Dans une tombe de la nécropole du Mont Gravet à Villeneuve-Renneville (Marne), au milieu de nombreuses fosses mortuaires, on a découvert les restes d’un cerf, apparemment sacrifié, qui était équipé de son harnachement. Le cerf est une allusion à Cernunnos, le dieu de la mort représenté la tête ornée de bois de cerf. La direction du coucher du soleil, allusion à la mort, fait le rapprochement entre le cycle des jours et celui des vies successives chez les Celtes pour lesquels l’âme migrait vers un autre corps après la mort

Le cheval, associé au soleil dans sa course entre le coucher et le lever, dans sa traversée de l’Autre Monde, est également un symbole de la fête de Samain, plus particulièrement associé au commencement de la nouvelle année.

Dans chaque maison en Bretagne, pendant la nuit de Toussaint, une pierre était disposée dans la cheminée, près du foyer, pour permettre aux âmes des ancêtres de se reposer et de se réchauffer. Un peu de nourriture (porc, lait) était disposé près de la pierre.

Aujourd’hui, la cérémonie de Samain se déroule dans un lieu traditionnellement réputé être un lieu de passage privilégié entre les deux mondes. Une surface turbide mélangeant l’eau et la terre symbolise le mieux cette porte. Un lieu marécageux convient à la célébration de cette fête dans l’esprit de la tradition. Dans le marais, comme dans les autres lieux de culte pour les différentes religions, règne une atmosphère particulière, propice à une élévation du niveau de conscience chez les participants.

Une branche de pommier, si possible couverte de lichen, le rameau d’argent, et des pommes sont des symboles qui font référence à l’Autre Monde celtique. L’hydromel, boisson symbole d’immortalité des dieux et des héros accueillis dans l’Autre Monde, y fait également référence. {C’est l’équivalent du soma, la boisson d’immortalité de la tradition védique.}

La pomme coupée rituellement dans le sens médian latéral, fait apparaître au centre de la chair blanche, l’étoile à cinq branches, un symbole pouvant représenter le microcosme humain. L’étoile au centre de la chair blanche symboliserait ainsi l’union du microcosme et du macrocosme dans le fruit de la connaissance. Coupée dans le sens médian vertical, la pomme serait un symbole sexuel, une allusion à la féminité, à la fécondité et aux origines.

Au cours d’une cérémonie de Samain des temps modernes, le souvenir des aïeux, parents et amis disparus est présent dans la mémoire des participants. Après un instant de recueillement intime, chacun avec le souvenir des siens, les pommes et l’hydromel peuvent constituer les éléments d’un partage symbolique entre les vivants et les proches disparus. L’esprit des proches disparus sera symboliquement invité à rejoindre l’anaon, la collectivité des âmes des défunts, avant de clore la cérémonie, chacun devant « rentrer chez soi ».

La fête celtique de Samain a été reprise par le Pape Boniface IV, en 607, pour en faire la fête chrétienne de la Toussaint et des défunts.

Culte des morts

Tableau représentant la célébration des défunts. Dans l’ossuaire on distingue les boîtes contenant les crânes de disparus.

En Bretagne, le temps de Samain (Br. Heven), jours de la Toussaint et des Cendres pour la religion chrétienne, est un moment important pour le souvenir des défunts de la famille et des proches disparus. Les familles se réunissent dans les cimetières, autour des sépultures fleuries.

La tradition présente aussi un aspect plus angoissant. Une légende bretonne lui est associée. Près de la baie des Trépassés, à la pointe du Finistère, la légende de la Chas an Geidell, fait allusion à la course des chiens de l’équinoxe qui, depuis l’Enfer, tentent vainement d’atteindre le Ciel. La légende, qui rappelle le passage de l’Ankou avec sa charrette transportant les âmes, est la version bretonne de la Chasse sauvage commune à une grande partie de l’Europe. La Chasse du roi Artus, la Menée Hennequin, ou encore la Chasse Saint Hubert en sont d’autres noms. Cet épisode fait référence à des cavaliers partis à la chasse avec la meute, emportés par les airs à la suite d’une malédiction. Le bruit de leur passage se retrouve dans le fracas d’une tempête nocturne pendant la période sombre de l’année.

Taolennou

Tableau représentant l’Ankou, sa charette et les âmes contraintes à errer. L’Ankou est la personnalisation spectrale de l’anaon, la collectivité des âmes.

Le mythe celtique de la chasse sauvage est lié à une conception cyclique du retour des mânes et des héros morts, qui semble être un élément de l’archaïque eschatologie héritée d’une mythologie commune à de nombreux peuples européens. A Samain, à la fin du cycle de l’année, les âmes vouées au ciel nocturne passent sur la Terre avec les éléments déchaînés et les puissances néfastes de l’hiver. Les chasses sauvages citées plus haut en sont une interprétation tardive.

Les textes irlandais qui se rapportent à Samain, font état de chevauchées nocturnes. Le thème illustre la traversée de la ténèbre hivernale et la victoire sur la mort. Dans le récit de La Mort tragique des Fils de Tureann, Lug est escorté par la Cavalcade féerique de l’Autre Monde.

Depuis le temps des Gaulois de la Protohistoire jusqu’au Moyen Âge, les inhumations se faisaient dans l’enceinte sacrée. En Bretagne, dès la construction des premières églises chrétiennes, les inhumations se faisaient à l’intérieur du bâtiment. Plus tard, les dépouilles furent sorties des églises, contre la volonté populaire, pour être disposées à l’extérieur. Les os des défunts étaient alors rassemblés dans un ossuaire construit près de l’église pour rester au plus près du lieu sacré. Les crânes étaient conservés dans des boîtes à crânes. Le prélèvement du crâne sur le cadavre et sa conservation, étaient une tradition qui remontait aux Celtes de l’Antiquité. La tête symbolisait la force et la valeur guerrière. Plus largement, la tête symbolise le principe actif, le dernier réduit de la totalité de l’être.

{Dans la tradition de l’Inde, après la crémation, un proche du défunt, parent ou ami, brise le crâne et le réduit en miette, pour libérer totalement l’esprit de son véhicule corporel.}

Pour conserver une proximité avec le lieu du culte, les sépultures seront ensuite creusées autour de l’église, dans un espace protégé par un mur d’enceinte, qui délimite l’extension de l’aire sacrée.

Les priorités du monde moderne ont repoussé les sépultures vers la périphérie des villes, loin des enceintes sacrées associées aux lieux de culte.

Gwyon mab Wrac’h