Spiritualité et éthique d’un druide contemporain
L’éthique détermine un cadre pour les usages auxquels l’ensemble des membres du groupe acceptent de souscrire dans un souci de cohérence morale. Pour ce qui concerne la spiritualité, il appartient à chacun, dans l’intimité de sa conscience, de mener sa propre réflexion pour faire sens à son existence dans la société de son temps.
L’archéologie et les quelques textes anciens disponibles donnent un éclairage partiel sur les usages et la culture des Celtes. Cet ensemble permet d’envisager les bribes d’une tradition qui ignorait la « culture du péché », mais était totalement imprégnée d’une « culture de l’honneur ». Le mensonge couvrait son auteur d’opprobre et le mettait à l’écart de la communauté.
Les textes de la littérature orale des Celtes semblent indiquer que seuls les héros de la tradition côtoyaient les dieux, à l’occasion des aventures qui les amenaient à passer d’un monde à l’autre. Les druides ne s’adressaient pas aux dieux, ils se contentaient d’être pour le peuple les experts capables d’en interpréter le langage.
Le néo-druidisme est un terme générique que les chercheurs modernes ont appliqué à la nébuleuse des mouvements druidiques contemporains. Il s’applique par exemple aux associations comme le « Druid Order » ou « The United Ancien Order of Druids, friendly society », associations internationales de type maçonnique ou mutualiste. Une douzaine d’autres associations druidiques, réparties sur le territoire britannique, associent le fond culturel celtique à une pratique religieuse ou folklorique.
En France, en Belgique et en Allemagne, de nombreux groupes druidiques se réunissent régulièrement, à l’occasion des fêtes d’un calendrier celtique qui associe le cycle annuel du soleil aux changements de saisons. Les États-Unis d’Amérique comptent également leur lot de groupes druidiques établis dans l’esprit anglo-saxon.
Le terme néo-druide s’applique de la même façon aux membres de groupes engagés dans une réflexion philosophique et spirituelle qu’à ceux qui militent en faveur de la défense des langues celtiques ou de la promotion de la culture, dans les dernières régions qui revendiquent des racines celtiques. Les membres de quelques groupes plus opaques, voire sectaires, sont également classés dans la même rubrique, créant un amalgame désastreux. Se classent également dans la nébuleuse fantasmatique qui entoure l’image du druide, des personnages atypiques qui construisent un folklore approximatif, invoquant l’un ou l’autre des anciens dieux celtes dans une sorte de religion de façade au mode théâtral.
Dans ce contexte, le mot « druidisme », inventé en 1727 par le dominicain Dom Jacques Martin, concentre une masse d’impressions contrastées. L’amalgame occulte presque totalement le fait druidique moderne, dans son approche philosophique, humaniste et éthique. Notre époque connait des druides et des druidesses qui ont leur personnalité propre et des quêtes spirituelles individuelles, mais qui partagent les valeurs qui structuraient la civilisation des Celtes: courage, honneur, solidarité et détestation du mensonge. Comme dans les temps anciens, le druide n’existe que par ses connaissances et le degré de sagesse atteint dans sa quête spirituelle personnelle, seuls critères susceptibles de le faire reconnaître. S’en attribuer le titre et revêtir une saie blanche donne l’image superficielle d’un contenant, mais seul le contenu donne du sens à la fonction du druide d’autrefois comme à celui d’aujourd’hui.
Au début du XXIème siècle, la Grande Bretagne a donné au mot « druidisme » un sens commun, en l’admettant dans la terminologie des religions. Dans le cadre religieux qui caractérise les filiations anglaise et irlandaise, le druide n’est pas à l’abri des dérives communes à toutes les religions, en termes d’autoritarisme et de sectarisme.
Le druide qui, spirituellement, se rattache au mouvement intellectuel qui faisait la particularité des druides gaulois, tel que l’on peut l’imaginer sur la base des témoins de l’Antiquité, est un homme libre de toute contrainte religieuse pour agir selon sa conscience, inscrit dans la société de son époque. Ce druide philosophe n’est pas particulièrement concerné par la nouvelle religion « druidique » qui rassemble les néo-druides aux pratiques religieuses diverses et variées, sans rapport avec les druides de la protohistoire européenne.
Quelques groupes militants, à vocation raciste, dans la logique du mythe indo-européen et de la race aryenne qui étayaient le nazisme, ont également récupéré les symboles des Celtes. Les symboles celtiques servent alors de décors à une idéologie ignoble, qui se veut héritière d’une virile saga épique. Il s’agit dans ce cas d’une véritable escroquerie intellectuelle qui a conduit à un abominable crime contre l’humanité. Les études anthropologiques, menées sur l’ensemble des territoires qui recelaient des vestiges de civilisation celtique, ont mis en évidence différentes caractéristiques ethniques. Ces éléments tendent à démontrer que, si la civilisation des Celtes qui s’est propagée par contact autant que par conquête est une réalité, la « pureté » d’une grande race supérieure, qui se serait préservée à travers les siècles, n’est qu’un mythe.
Le sacerdoce des druides de l’Antiquité, pour autant que la notion de sacerdoce ait existé chez les druides qui exerçaient leur métier au sein de la société, était obtenu au terme d’une longue instruction dont Jules César nous dit qu’elle pouvait durer une vingtaine d’années. La spiritualité celtique puisait aux sources de l’idéologie tripartie attribuée aux indo-européens, mais la sapience des druides Gaulois était libre de contraintes religieuses.
Au faîte de son importance dans la société celtique, le druide n’était ni chaman, ni prêtre de l’antique religion cosmo-terrestre d’origine indo-européenne, mais un philosophe inspiré par une spiritualité libre.
La pensée celtique portée par le druide moderne est le fruit d’une quête intérieure qui conduit à une prise de conscience, à l’humilité et au respect. Lointaine conséquence des phénomènes qui ont succédé au Big Bang, l’être humain est indissociable des transformations qui s’opèrent au sein de l’univers, sous l’effet des forces qui s’y expriment. Cette pensée, exprimée différemment selon les époques, pourrait constituer l’un des brins du lien qui relie le druide de l’Antiquité à celui du XXIème siècle.
Le druide moderne ignore le prosélytisme, qui tend à lier l’autre au joug de ses propres convictions. Dans le domaine de la spiritualité, la liberté et la tolérance caractérisent son éthique. Même s’il n’adhère pas au principe du dogme, le druide peut comprendre les prêtres et les fidèles de toutes les religions qui, par leur foi, privilégient les valeurs et les droits fondamentaux de la personne humaine. Sous l’autorité du Pape François, au début du XXIème siècle, l’Église catholique semble mettre la personne humaine, avec ses différences et ses fragilités, au centre de son action. Plus proche de l’esprit humaniste initial du message du Christ que de celui de la curie romaine, le Pape François fustige la pompe et les mondanités des princes de l’Église catholique pour les rappeler à leurs devoirs envers les plus faibles et les plus démunis.
Le druide contemporain est, avant toute chose, un homme libre qui a pour principale obligation, d’être fidèle à lui-même, tout en s’efforçant à un combat continu contre son ego, le côté encombrant de la personnalité. Le druide privilégie l’exemple pour promouvoir ses valeurs, sur la base du principe Pensée – Parole – Action qui structurait l’ancienne société des Celtes. Ce principe peut aujourd’hui se décliner en : une pensée libre, une parole de vérité et de justice et une action solidaire et fraternelle au service de la société.
La Terre est née d’un processus cosmique particulier et la Vie y est apparue à la suite d’un concours de circonstances exceptionnel. La planète est enveloppée d’une fine couche gazeuse, dont la composition a favorisé l’émergence de la vie dans l’immensité glaciale du cosmos. Ces conditions exceptionnelles seront-elles suffisantes pour résister longtemps aux ravages causés au vivant par une économie libérale mondialisée, sous la pression financière déshumanisée des banques et des groupes industriels ? Au cours du siècle écoulé, l’exploitation irraisonnée des ressources naturelles est responsable de la destruction de plus d’écosystèmes et de la disparition de plus d’espèces vivantes que l’ensemble de l’humanité depuis son apparition sur Terre. La faculté des humains à se reproduire est altérée par les perturbateurs endocriniens produits par l’industrie chimique.
La spiritualité du druide moderne est humaniste, soucieuse de l’état de la planète et de la nature. Dans le contexte actuel, le druide rappelle l’exigence comportementale des humains envers leur environnement. Dans la société, cette exigence peut s’exprimer par deux voies principales : – par le haut et la voie réglementaire en rappelant aux élus de la Nation leurs responsabilités dans l’organisation de la société ; – par le bas, avec le peuple des administrés contraint à la violence, pour faire contre poids aux puissants lobbies de l’industrie et tenter d’imposer des mesures contraires aux intérêts financiers d’une poignée de possédants. Le druide a conscience du fait que notre humanité, avec ses sociétés et ses cultures différentes, est un phénomène temporel limité au sein de l’univers dans lequel notre système solaire est lui aussi voué à une fin inéluctable. Le sort lointain de la planète Terre et de la vie dont elle est dotée sont liés à son vieillissement, ainsi qu’à celui du soleil, ce n’est pas une raison pour regarder passivement les responsables politiques ou économiques en précipiter la fin. Dans ce contexte, le druide a un rôle a jouer pour l’éveil des consciences au sein de la société.
Au sein de la nature, sur une planète qui possède sa propre vie dans l’Univers, le druide de notre temps mène sa quête à partir de sa fibre intime. Le doute est toujours présent dans sa démarche spirituelle. Le druide est, avant toute chose, un « cherchant » libéré de la crainte, qui a abandonné le fardeau de ses certitudes. Ni le temps, ni les progrès de la science, ni les effets de modes dans les concepts philosophiques n’affectent le dialogue de l’âme avec elle-même. Dans sa quête de sagesse, le druide reste attentif aux autres, dans une posture d’écoute bienveillante.
Comme dans les temps anciens, vingt années ne sont pas de trop pour le druide des temps modernes, qui ne prétend pas posséder la sagesse, mais qui s’efforce vers elle. Libéré du carcan religieux réducteur, source de dérives sectaires, ne se souciant pas d’un hypothétique héritage indo-européen sujet à controverses entre chercheurs, ou d’une référence à une race aryenne décrétée supérieure, cause des dérives racistes du XXème siècle, le druide du XXIème siècle peut afficher le sourire de la sérénité pour assumer les fonctions modernes de son titre.
Gwyon mab Wrac’h